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Second fragment des Pensées de Louis Lambert

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Telles sont les pensées auxquelles j’ai pu, non sans de grandes peines, donner des formes en rapport avec notre entendement. Il en est d’autres desquelles Pauline se souvenait plus particulièrement, je ne sais par quelle raison, et que j’ai transcrites ; mais elles font le désespoir de l’esprit, quand, sachant de quelle intelligence elles procèdent, on cherche à les comprendre. J’en citerai quelques-unes, pour achever le dessin de cette figure, peut-être

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aussi parce que dans ces dernières idées la formule de Lambert embrasse-t-elle mieux les mondes que la précédente, qui semble s’appliquer seulement au mouvement zoologique. Mais entre ces deux fragments, il est une corrélation évidente aux yeux des personnes, assez rares d’ailleurs, qui se plaisent à plonger dans ces sortes de gouffres intellectuels.

« Tout ici-bas n’existe que par le Mouvement et par le Nombre.

II.

Le Mouvement est en quelque sorte le Nombre agissant.

III.

Le Mouvement est le produit d’une force engendrée par la Parole et par une résistance qui est la Matière. Sans la résistance, le Mouvement aurait été sans résultat, son action eût été infinie. L’attraction de Newton n’est pas une loi ; mais un effet de la loi générale du Mouvement universel.

IV.

Le Mouvement, en raison de la résistance, produit une combinaison qui est la vie ; dès que l’un ou l’autre est plus fort, la vie cesse.

V.

Nulle part le Mouvement n’est stérile, partout il engendre le Nombre ; mais il peut être neutralisé par une résistance supérieure, comme dans le minéral.

VI.

Le Nombre qui produit toutes les variétés engendre également l’harmonie, qui, dans sa plus haute acception, est le rapport entre les parties et l’Unité.

VII.

Sans le Mouvement, tout serait une seule et même chose. Ses produits, identiques dans leur essence ne diffèrent que par le Nombre qui a produit les facultés.

VIII.

L’homme tient aux facultés, l’ange tient à l’essence.

IX.

En unissant son corps à l’action élémentaire, l’homme peut arriver à s’unir à la lumière par son INTERIEUR.

X.

Le Nombre est un témoin intellectuel qui n’appartient qu’à l’homme, et par lequel il peut arriver à la connaissance de la Parole.

XI.

Il est un nombre que l’impur ne franchit pas, le Nombre où la création est finie.

XII.

L’Unité a été le point de départ de tout ce qui fut produit ; il en est résulté des Composés mais la fin doit être identique au commencement. De là cette formule spirituelle : Unité composée, Unité variable, Unité fixe.

XIII.

L’Univers est donc la variété dans l’Unité. Le Mouvement est le moyen, le Nombre est le résultat. La fin est le retour de toutes choses à l’unité, qui est Dieu.

XIV.

TROIS et SEPT sont les deux plus grands nombres spirituels.

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XV.

TROIS est formule des Mondes créés. Il est le signe spirituel de la création comme il est le signe matériel de la circonférence. En effet, Dieu n’a procédé que par des lignes circulaires. La ligne droite est l’attribut de l’infini ; aussi d’homme qui pressent l’infini la reproduit-il dans ses oeuvres. Deux est le Nombre de la génération. TROIS est le Nombre de l’existence, qui comprend la génération et le produit. Ajoutez le Quaternaire, vous avec le SEPT, qui est la formule du ciel. Dieu est au-dessus, il est l’Unité.

 »

Après être allé revoir encore une fois Lambert, je quittai sa femme et revins en proie à des idées si contraires à la vie sociale, que je renonçai, malgré ma promesse, à retourner à Villenoix. La vue de Louis avait exercé sur moi je ne sais quelle influence sinistre. Je redoutai de me retrouver dans cette atmosphère enivrante où l’extase était contagieuse. Chacun aurait éprouvé comme moi l’envie de se précipiter dans l’infini, de même que les soldats se tuaient tous dans la guérite où s’était suicidé l’un d’eux au camp de Boulogne. On sait que Napoléon fut obligé de faire brûler ce bois, dépositaire d’idées arrivées à l’étal de miasmes mortels. Peut-être en était-il de la chambre de Louis comme de cette guérite ? Ces deux faits seraient des preuves de plus en faveur de son système sur la transmission de la Volonté. J’y ressentis des troubles extraordinaires qui surpassèrent les effets les plus fantastiques causés par le thé, le café, l’opium, par le sommeil et la fièvre, agents mystérieux dont les terribles actions embrasent si souvent nos têtes. Peut-être aurais-je pu transformer en un livre complet ces débris de pensées, compréhensibles seulement pour certains esprits habitués à se pencher sur le bord des abîmes, dans l’espérance d’en apercevoir le fond. La vie de cet immense cerveau, qui sans doute a craqué de toutes parts comme un empire trop vaste, y eût été développée dans le récit des visions de cet être, incomplet par trop de force ou par faiblesse ; mais j’ai mieux aimé rendre compte de mes impressions que de faire une oeuvre plus ou moins poétique.

Lambert mourut à l’âge de vingt-huit ans, le 25 septembre 1824, entre les bras de son amie. Elle le fit ensevelir dans une des îles du parc de Villenoix. Son tombeau consiste en une simple croix de pierre, sans nom, sans date. Fleur née sur le bord d’un gouffre, elle devait y tomber inconnue avec ses couleurs et ses parfums inconnus. Comme beaucoup de gens incompris, n’avait-il pas souvent voulu se plonger avec orgueil dans le néant pour y perdre les secrets de sa vie ! Cependant mademoiselle de Villenoix aurait bien eu le droit d’inscrire sur cette croix les noms de Lambert, en y indiquant les siens. Depuis la perte de son mari, cette nouvelle union n’est-elle pas son espérance de toutes les heures ? Mais les vanités de la douleur sont étrangères aux âmes fidèles. Villenoix tombe en ruines. La femme de Lambert ne l’habite plus, sans doute pour mieux s’y voir comme elle y fut jadis. Ne lui a-t-on pas entendu dire naguère : — J’ai eu son coeur, à Dieu son génie !

Au château de Saché, juin-juillet 1832.

Ajout de moi (Dieu me pardonnera t’il d’oser parler après ces lignes extraordinaires? Je laisse insoucieusement cette question sans réponse, n’ayant pas l’habitude d’émarger au tableau des bons éleves ou des « réprouvés »): Il s’agit ici d’une conception du « Nombre » de type pythagoricien, bien proche des thèses (certes admirables) de l’Abbé Lacuria dans « Les harmonies de l’être », conception qui ignore la lutte, la guerre qui eût lieu à l’intérieur du camp Pythagoricien et résulta en un schisme entre acousmatiques et mathématiciens:

https://horreurislamique.wordpress.com/le-schisme-entre-acousmatiques-et-mathematiciens-dans-le-pythagorisme/

schisme qui est une préfiguration de la ligne de démarcation des Temps en quoi consiste le cartésianisme:

Descartes : la ligne de démarcation des Temps

On choisira donc ici d’accorder la prédominance au camp des mathématiciens et théoriciens des Nombres sur celui des mystiques et des acousmatiques : l’acte spirituel internel qui conditionne tout, fût ce Dieu ou le Néant, est saisi à sa source la plus pure dans l’activité intellectuelle qui est celle de la moderne théorie des nombres, comme le montrent les travaux de Marie Anne Cochet dans son livre « Commentaire sur la conversion spirituelle dans la philosophie de Léon Brunschvicg », voir les hashtags #BrunschvicgCochet et surtout #CochetBrunschvicg et en particulier ces articles :

https://horreurislamique.wordpress.com/2013/08/08/observer-lacte-spirituel-a-loeuvre-dans-la-theorie-des-nombres/

https://horreurislamique.wordpress.com/2013/08/17/la-vie-de-lesprit-se-developpe-dans-un-present-eternel/

https://horreurislamique.wordpress.com/2015/03/03/brunschvicgcochet-2-lesprit-humain-saisi-a-sa-source-la-plus-pure/

Premier fragment des Pensées de Louis Lambert

Page 198 de l’édition Furne:

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Je gardai le silence, les sciences humaines étaient bien petites devant celte femme.
— Dans le temps où il se mit à parler, reprit-elle, je crois avoir recueilli ses premières phrases, mais j’ai cessé de le faire ; je n’y entendais rien alors.
Je les lui demandai par un regard ; elle me comprit, et voici ce que je pus sauver de l’oubli.
I.
« Ici-bas, tout est le produit d’une SUBSTANCE ETHEREE, base commune de plusieurs phénomènes connus sous les noms impropres d’Electricité, Chaleur, Lumière, Fluide galvanique, magnétique, etc. L’universalité des transmutations de cette Substance constitue ce que l’on appelle vulgairement la Matière.
II.
Le Cerveau est le matras où l’ANIMAL transporte ce que, suivant la force de cet appareil, chacune de ses organisations peut absorber de cette SUBSTANCE, et d’où elle sort transformée en Volonté.
La Volonté est un fluide, attribut de tout être doué de mouvement. De là les innombrables formes qu’affecte l’ANIMAL, et qui sont les effets de sa combinaison avec la SUBSTANCE. Ses instincts sont le produit des nécessités que lui imposent les milieux où il se développe. De là ses variétés.
III.
En l’homme, la Volonté devient une force qui lui est propre, et qui surpasse en intensité celle de toutes les espèces.
IV.
Par sa constante alimentation, la Volonté tient à la SUBSTANCE qu’elle retrouve dans toutes les transmutations
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en les pénétrant par la Pensée, qui est un produit particulier de la Volonté humaine, combinée avec les modifications de la SUBSTANCE.
V.
Du plus ou moins de perfection de l’appareil humain, viennent les innombrables formes qu’affecte la Pensée.
VI.
La Volonté s’exerce par des organes vulgairement nommés les cinq sens qui n’en sont qu’un seul, la faculté de voir. Le tact comme le goût, l’ouïe comme l’odorat, est une vue adaptée aux transformations de la SUBSTANCE que l’homme peut saisir dans ses deux états, transformée et non transformée.
VII.
Toutes les choses qui tombent par la Forme dans le domaine du sens unique, la faculté de voir, se réduisent à quelques corps élémentaires dont les principes sont dans l’air, dans la lumière ou dans les principes de l’air et de la lumière. Le son est une modification de l’air ; toutes les couleurs sont des modifications de la lumière ; tout parfum est une combinaison d’air et de lumière ; ainsi les quatre expressions de la matière par rapport à l’homme, le son, la couleur, le parfum et la forme, ont une même origine ; car le jour n’est pas loin où l’on reconnaîtra la filiation des principes de la lumière dans ceux de l’air. La pensée qui tient à la lumière s’exprime par la parole qui tient au son. Pour lui, tout provient donc de la SUBSTANCE dont les transformations ne diffèrent que par le NOMBRE, par un certain dosage dont les proportions produisent les individus ou les choses de ce que l’on nomme les REGNES.
VIII.
Quand la SUBSTANCE est absorbée en un Nombre suffisant, elle fait de l’homme un appareil d’une énorme
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puissance, qui communique avec le principe même de la SUBSTANCE, et agit sur la nature organisée à la manière des grands courants qui absorbent les petits. La volition met en oeuvre cette force indépendante de la pensée, et qui, par sa concentration, obtient quelques-unes des propriétés de la SUBSTANCE, comme la rapidité de la lumière, comme la pénétration de l’électricité, comme la faculté de saturer les corps, et auxquelles il faut ajouter l’intelligence de ce qu’elle peut. Mais il est en l’homme un phénomène primitif et dominateur qui ne souffre aucune analyse. On décomposera l’homme en entier, l’on trouvera peut-être les éléments de la Pensée et de la Volonté ; mais on rencontrera toujours, sans pouvoir le résoudre, cet X contre lequel je me suis autrefois heurté. Cet X est la PAROLE, dont la communication brûle et dévore ceux qui ne sont pas préparés à la recevoir. Elle engendre incessamment la SUBSTANCE.
IX.
La colère, comme toutes nos expressions passionnées, est un courant de la force humaine qui agit électriquement ; sa commotion, quand il se dégage, agit sur les personnes présentes, même sans qu’elles en soient le but ou la cause. Ne se rencontre-t-il pas des hommes qui, par une décharge de leur volition, cohobent les sentiments des masses ?
X.
Le fanatisme et tous tes sentiments sont des Forces Vives. Ces forces, chez certains êtres, deviennent des fleuves de Volonté qui réunissent et entraînent tout.
XI.
Si l’espace existe, certaines facultés donnent le pouvoir de le franchir avec une telle vitesse que leurs effets équivalent à son abolition. De ton lit aux frontières du monde, il n’y a que deux pas : LA VOLONTE– LA FOI !
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XII.
Les faits ne sont rien, ils n’existent pas, il ne subsiste de nous que des Idées.
XIII.
Le monde des Idées se divise en trois sphères : celle de l’Instinct, celle des Abstractions, celle de la Spécialité.
XIV.
La plus grande partie de l’Humanité visible, la partie la plus faible, habite la sphère de l’Instinctivité. Les Instinctifs naissent, travaillent et meurent sans s’élever au second degré de l’intelligence humaine, l’Abstraction.
XV.
A l’abstraction commence la Société. Si l’Abstraction comparée à l’Instinct est une puissance presque divine, elle est une faiblesse inouïe, comparée au don de Spécialité qui peut seul expliquer Dieu. L’Abstraction comprend toute une nature en germe plus virtuellement que la graine ne contient le système d’une plante et ses produits. De l’abstraction naissent les lois, les arts, les intérêts, les idées sociales. Elle est la gloire et le fléau du monde : la gloire, elle a créé les sociétés ; le fléau, elle dispense l’homme d’entrer dans la Spécialité, qui est un des chemins de l’Infini. L’homme juge tout par ses abstractions, le bien, le mal, la vertu, le crime. Ses formules de droit sont ses balances, sa justice est aveugle : celle de Dieu voit, tout est là. Il se trouve nécessairement des êtres intermédiaires qui séparent le Règne des Instinctifs du Règne des Abstractifs, et chez lesquels l’Instinctivité se mêle à l’Abstractivité dans des proportions infinies. Les uns ont plus d’Instinctivité que d’Abstractivité, et vice versa, que les autres. Puis, il est des êtres chez lesquels les deux actions se neutralisent en agissant par des forces égales.
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XVI.
La Spécialité consiste à voir les choses du monde matériel aussi bien que celles du monde spirituel dans leurs ramifications originelles et conséquentielles. Les plus beaux génies humains sont ceux qui sont partis des ténèbres de l’Abstraction pour arriver aux lumières de la Spécialité. (Spécialité, species, vue, spéculer, voir tout, et d’un seul coup ; Speculum, miroir ou moyen d’apprécier une chose en la voyant tout entière.) Jésus était Spécialiste, il voyait le fait dans ses racines et dans ses productions, dans le passé qui l’avait engendré, dans le présent où il se manifestait, dans l’avenir où il se développait ; sa vue pénétrait l’entendement d’autrui. La perfection de la vue intérieure enfante le don de Spécialité. La Spécialité emporte l’intuition. L’intuition est une des facultés de L’HOMME INTERIEUR dont le Spécialisme est un attribut. Elle agit par une imperceptible sensation ignorée de celui qui lui obéit : Napoléon s’en allant instinctivement de sa place avant qu’un boulet n’y arrive.
XVII.
Entre la sphère du Spécialisme et celle de l’Abstractivité se trouvent, comme entre celle-ci et celle de l’Instinctivité, des êtres chez lesquels les divers attributs des deux règnes se confondent et produisent des mixtes : les hommes de génie.
XVIII.
Le Spécialiste est nécessairement la plus parfaite expression de l’HOMME, l’anneau qui lie le monde visible aux mondes supérieurs : il agit, il voit et il sent par son INTERIEUR. L’Abstractif pense. L’Instinctif agit.
XIX.
De là trois degrés pour l’homme : Instinctif, il est au-dessous de la mesure ; Abstractif, il est au niveau ; Spécialiste, il est au dessus. Le Spécialisme ouvre à l’homme sa véritable carrière, l’infini commence à poindre en lui, là il entrevoit sa destinée.
XX.
Il existe trois mondes : le NATUREL, le SPIRITUEL, le DIVIN.
L’Humanité transite dans le Monde Naturel, qui n’est fixe ni dans son essence ni dans ses facultés. Le Monde Spirituel est fixe dans son essence et mobile dans ses facultés. Le Monde Divin est fixe dans ses facultés et dans son essence. Il existe donc nécessairement un culte matériel, un culte spirituel, un culte divin ; trois formes qui s’expriment par l’Action, par la Parole, par la Prière, autrement dit, le Fait, l’Entendement et l’Amour. L’Instinctif veut des faits, l’Abstractif s’occupe des idées, le Spécia-
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liste voit la fin, il aspire à Dieu qu’il pressent ou contemple.
XXI.

Aussi, peut-être un jour le sens inverse de l’ET VERBUM CARO FACTUM EST, sera-t-il le résumé d’un nouvel évangile qui dira : ET LA CHAIR SE FERA le VERBE, ELLE DEVIENDRA LA PAROLE de DIEU.

XXII.
La résurrection se fait par le vent du ciel qui balaie les mondes. L’ange porté par le vent ne dit pas : — Morts, levez-vous ! Il dit : — Que les vivants se lèvent !
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