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L’envers de l’Histoire contemporaine : Godefroid

voici ce qui est dit de ce personnage qui souffre en 1836 au début du roman  de la « maladie du siècle » (177 ans plus tard cela s’est aggravé):

« Ce promeneur avait nom Godefroid. En lisant cette histoire, on comprendra les raisons qui n’y font employer que les prénoms de ceux dont il sera question. Voici donc pourquoi Godefroid, qui demeurait dans le quartier de la Chaussée-d’Antin, se trouvait à une pareille heure au chevet de Notre-Dame.

Fils d’un détaillant à qui l’économie avait fait faire une sorte de fortune, il devint toute l’ambition de son père et de sa mère, qui le révèrent notaire à Paris. Aussi, dès l’âge de sept ans, fut-il mis dans une institution, celle de l’abbé Liautard, parmi les enfants de beaucoup de familles distinguées qui, sous le règne de l’Empereur, avaient, par attachement à la religion un peu trop méconnue dans les lycées, choisi cette maison pour l’éducation de leurs fils. Les inégalités sociales ne pouvaient pas alors être soupçonnées entre camarades ; mais, en 1821, ses études achevées, Godefroid, qu’on plaça chez un notaire, ne tarda pas à reconnaître les distances qui le séparaient de ceux avec lesquels il avait jusqu’alors vécu familièrement.

Obligé de faire son Droit, il se vit confondu dans la foule des fils de la bourgeoisie qui, sans fortune faite ni distinctions héréditaires, devaient tout attendre de leur valeur personnelle ou de leurs travaux obstinés. Les espérances que son père et sa mère, alors retirés du commerce, asseyaient sur sa tête, stimulèrent son amour- propre sans lui donner d’orgueil. Ses parents vivaient simplement, en Hollandais, ne dépensant que le quart de douze mille francs de rentes ; ils destinaient leurs économies, ainsi que la moitié de leur capital, à l’acquisition d’une charge pour leur fils. Soumis aux lois de cette économie domestique, Godefroid trouvait son état présent si disproportionné avec les rêves de ses parents et les siens, qu’il éprouva du découragement. Chez les natures faibles, le découragement devient de l’envie. Tandis que d’autres, à qui la nécessité, la volonté, la réflexion tenaient lieu de talent, marchaient droit et résolument dans la voie tracée aux ambitions bourgeoises, Godefroid se révolta, voulut briller, alla vers tous les endroits éclairés, et ses yeux s’y blessèrent. Il essaya de parvenir, mais tous ses efforts aboutirent à la constatation de son impuissance. En s’apercevant enfin d’un manque d’équilibre entre ses désirs et sa fortune, il prit en haine les suprématies sociales, se fit libéral et tenta d’arriver à la célébrité par un livre ; mais il apprit à ses dépens à regarder le Talent du même œil que la Noblesse. Le Notariat, le Barreau, la Littérature successivement abordés sans succès, il voulut être magistrat.

En ce moment son père mourut. Sa mère, dont la vieillesse put se contenter de deux mille francs de rente, lui abandonna presque toute la fortune. Possesseur à vingt-cinq ans de dix mille francs de rente, il se crut riche et l’était relativement à son passé. Jusqu’alors, sa vie avait été composée d’actes sans volonté, de vouloirs impuissants ; et, pour marcher avec son siècle, pour agir, pour jouer un rôle, il tenta d’entrer dans un monde quelconque à l’aide de sa fortune. Il trouva tout d’abord le journalisme qui tend toujours les bras au premier capital venu. Être propriétaire d’un journal, c’est devenir un personnage : on exploite l’intelligence, on en partage les plaisirs sans en épouser les travaux. Rien n’est plus tentant pour des esprits inférieurs que de s’élever ainsi sur Ie talent d’autrui. Paris a vu deux ou trois parvenus de ce genre, dont le succès est une honte et pour l’époque et pour ceux qui leur ont prêté leurs épaules.

Dans cette sphère, Godefroid fut primé par le grossier machiavélisme des uns ou par la prodigalité des autres, par la fortune des capitalistes ambitieux ou par l’esprit des rédacteurs ; puis il fut entraîné vers les dissipations auxquelles donnent lieu la vie littéraire ou politique, les allures de la critique dans les coulisses, et vers les distractions nécessaires aux intelligences fortement occupées. Il vit alors mauvaise compagnie, mais on lui apprit qu’il avait une figure insignifiante, qu’une de ses épaules était sensiblement plus forte que l’autre, sans que cette inégalité fût rachetée ni par la méchanceté, ni par la bonté de son esprit. Le mauvais ton est le salaire que les artistes prélèvent en disant la vérité.

Petit, mal fait, sans esprit et sans direction soutenue, tout semblait dit pour un jeune homme par un temps où, pour réussir dans toutes les carrières, la réunion des plus hautes qualités de l’esprit ne signifie rien sans le bonheur, ou sans la ténacité qui commande au bonheur….

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La faiblesse impatiente et chagrine ne consent pas tout à coup à s’effacer. Aussi, pendant son deuil, Godefroid chercha-t-il des hasards dans Paris : il dînait à des tables d’hôte, il se liait inconsidérément avec les étrangers, il recherchait le monde et ne rencontrait que des occasions de dépense. En se promenant sur les boulevards, il souffrait tant en lui-même, que la vue d’une mère accompagnée d’une fille à marier lui causait une sensation aussi douloureuse que celle qu’il éprouvait à l’aspect d’un jeune homme allant au Bois à cheval, d’un parvenu dans son élégant équipage, ou d’un employé décoré. Le sentiment de son impuissance lui disait qu’il ne pouvait prétendre ni à la plus honorable des positions secondaires, ni à la plus facile destinée ; et il avait assez de cœur pour en être constamment blessé, assez d’esprit pour faire en lui-même des élégies pleines de fiel.

Inhabile à lutter contre les choses, ayant le sentiment des facultés supérieures, mais sans le vouloir qui les met en action, se sentant incomplet, sans force pour entreprendre une grande chose, comme sans résistance contre les goûts qu’il tenait de sa vie antérieure, de son éducation ou de son insouciance, il était dévoré par trois maladies, dont une seule suffit à dégoûter de l’existence un jeune homme déshabitué de la foi religieuse. Aussi Godefroid offrait-il ce visage qui se rencontre chez tant d’hommes, qu’il est devenu le type parisien : on y aperçoit des ambitions trompées ou mortes, une misère intérieure, une haine endormie dans l’indolence d’une vie assez occupée par le spectacle extérieur et journalier de Paris, une inappétence qui cherche des irritations, la plainte sans le talent, la grimace de la force, le venin de mécomptes antérieurs qui excite à sourire de toute moquerie, à conspuer tout ce qui grandit, à méconnaître les pouvoirs les plus nécessaires, se réjouir de leurs embarras, et ne tenir à aucune forme sociale. Ce mal parisien est, à la conspiration active et permanente des gens d’énergie, ce que l’aubier est à la sève de l’arbre ; il la conserve, la soutient et la dissimule. »

http://www.v1.paris.fr/commun/v2asp/musees/balzac/furne/notices/envers_de_l’histoire.htm

« Première partie : « Madame de La Chanterie »

L’oeuvre est en deux parties, dont la première, par récits rétrospectifs, introduit à l’action principale : l’« initiation » d’un jeune bourgeois à la « vivante image de la Charité ». Nous sommes en 1836, à Paris. Le jeune Godefroid, en proie à la « maladie du siècle », choisit de redonner « un sens à sa vie » en s’imposant de « vivre à l’écart ». La lecture d’une petite annonce fait de lui, par hasard, le pensionnaire, rue Chanoinesse, dans l’île de la Cité, de la baronne de La Chanterie. Il réalise alors sa fortune, paie ses dettes et place le reste de ses capitaux chez Frédéric Mongenod, qui se trouve être aussi le banquier de la baronne. Sa nouvelle vie est marquée par la rencontre des autres pensionnaires. Godefroid obtient de « M. Alain » qu’il lui raconte son « aventure ». Celui-ci ne se pardonne pas d’avoir longtemps douté de l’honnêteté d’un ami, père de Frédéric Mongenod. Le « repentir » décida de son affiliation à la société charitable des Frères de la Consolation, établie rue Chanoinesse et fondée, sous la Restauration, par le juge Popinot et Mme de La Chanterie. Un mot malheureux de Godefroid en faveur de la peine de mort et l’effet qu’il produit sur la baronne rendent nécessaire une explication, qui fait l’objet d’un deuxième récit de M. Alain. Impliquées, sous l’Empire, dans le procès dit des « chauffeurs de Mortagne », Mme de La Chanterie et sa fille avaient été respectivement condamnées à la prison et à la peine de mort, à la suite d’un réquisitoire féroce du procureur de Caen, le baron Bourlac. Les progrès accomplis par Godefroid le rendent digne d’une « initiation ».

Deuxième partie : « L’Initié. »

Godefroid est chargé d’enquêter sur un certain « M. Bernard », qui vit misérablement, rue Notre-Dame-des-Champs, avec sa fille, Vanda de Mergi, atteinte d’une mystérieuse maladie (la « plique polonaise »), et son petit-fils, Auguste. Qui est M. Bernard ? On apprendra qu’il n’est autre que le baron Bourlac. Les Frères de la Consolation ne lui refuseront pas leur aide. Cependant qu’appelé par Godefroid, le docteur Halpersohn guérit Vanda, leur intervention permet l’édition de son grand ouvrage de jurisprudence, L’Esprit des lois modernes, qui lui vaut une chaire en Sorbonne. Une indiscrétion de Godefroid lui révèle l’identité sinon l’adresse de sa bienfaitrice et ancienne victime. Bourlac fait suivre Godefroid par Auguste, son petit-fils. Il se rend alors rue Chanoinesse, où on lui accorde son pardon. »